Glenn Hughes – Resonate
Frontiers Records
2016
Glenn Hughes – Resonate
Glenn Hughes fait partie de ces artistes avec lesquels j’ai du mal à être objectif. Quoi qu’il fasse, je trouve toujours des qualités à sa musique, même au gré des participations qu’il aurait pu éviter, même pour des albums que d’autres trouveraient moins bons… Il faut dire que cela fait un bail que je le suis : depuis Burn de Deep Purple exactement. Depuis ce temps, je considère toujours cet album comme le meilleur de DP et la formule Mark III comme la plus excitante (j’ai même l’outrecuidance, pour ne pas dire la folie, de préférer la Mark IV avec le regretté Tommy Bolin, grand ami de Hughes, à la Mark II). Malgré cet attachement, je n’ai pu voir Glenn sur scène que l’an dernier, j’en avais parlé ici, et cela restera un des grands moments de ma vie musicale. Depuis son dernier opus studio enregistré en 2008, First Underground Nuclear Kitchen, à l’acronyme explicite (F.U.N.K.) – le premier chez Frontiers pour l’ensemble de la planète –, Hughes n’a pas chômé, enregistrant pas moins de quatre albums studio : les trois du super-groupe Black Country Communion et l’unique de la météorite incandescente California Breed. Si l’on considère que, durant la même période, il a également tourné avec ces deux formations, en solo et participé à des tas de projets… tout en trouvant le temps de subir des interventions chirurgicales pour le cœur et les genoux, on est forcé de convenir que l’homme originaire de Cannock (dans le Black Country anglais), à bientôt 65 ans, est quelqu’un de visiblement pressé qui fait feu de tout bois.
En effet, alors que Resonate est sorti le 4 novembre dernier, on annonce déjà une tournée solo, mais aussi l’enregistrement d’un nouvel album d’un Black Country Communion renaissant de ses cendres ! Pressé, je vous dis ! Mais il semblerait bien que l’animal arrive à se concentrer sur de meilleurs projets. Car, pour qui veut bien mettre de côté la période plus funk (que personnellement j’adore aussi), les quatre derniers albums des groupes de Glenn Hughes sont tous excellents. La barre semblait placée bien haute… Eh bien, c’est simple : au détail près d’un mastering (Søren Andersen) qui a tendance à écraser la formidable production de Hughes et Sorensen, cet album est tout bonnement l’un des meilleurs d’une année 2016 qui a quand même vu sortir quelques disques de haut-vol. Pour ce faire, Hughes a su s’entourer. Andersen d’abord, guitariste danois qui a déjà travaillé avec GH (en tournée notamment), mais qui a joué également avec un de mes autres chanteurs préférés, Mike Tramp. Andersen étant copropriétaire du Medley Studios à Copenhague, c’est tout naturellement que Resonate a été majoritairement enregistré là-bas (comme quoi tout n’est pas si pourri au royaume du Danemark). Hughes a également conservé son batteur attitré en tournée, le Suédois Pontus Engborg, mais a encore fait appel à son ami Chad Smith (celui des Red Hot Chili Peppers) avec lequel il a déjà œuvré (pour ses trois précédents albums solo). Pour compléter l’équipe, « The Voice Of Rock » a dégoté Lachy Doley, claviériste australien qui a déjà tourné avec lui, mais également avec Jimmy Barnes et Steve Vai, excusez du peu ! D’ailleurs, Glenn ne tarit pas d’éloges sur ce spécialiste de l’orgue Hammond (tiens, tiens), le considérant tout simplement comme le « meilleur claviériste actuel ». Entouré de cette équipe plus que solide, Glenn Hughes a également enregistré de la manière dont il aime à le faire désormais : au maximum live, avec peu de prises et d’overdubs pour restituer le caractère vivant ainsi que les pulsions et pulsations musicales (pour qui s’intéressera à cette question, le visionnage du DVD de l’édition Deluxe est très enrichissant).
Glenn Hughes est revenu au rock (l’avait-il vraiment quitté, je n’ai pas ouï-dire qu’il ait fait du néo-trash-polka-ambient). Et cela s’entend dès le premier titre, « Heavy ». Un riff bien lourd, le martèlement de Smith derrière les fûts, déjà l’orgue Hammond (mais également une petite intervention de synthé à la Come Taste The Band des qui-vous-savez) et la voix tantôt rageuse, tantôt délicate de Hughes. Et c’est bien le chant qui tire la couverture. Sur tout l’album, Glenn chante magnifiquement, si bien qu’il n’en fait pas des tonnes : straight out. « My Town » poursuit sur le même ton rock. Un mid-tempo agrémenté d’un pont funkisant marqué par un flow inhabituel chez Hughes sur fond de cordes synthétiques. Les interventions d’Andersen sont précises, taillées au rasoir. Le final est apocalyptique, on est déjà sur son séant !
« Flow » déboule comme un Black Sabbath avec un riff gras et épicé tel un chili con carne. La basse est énorme (la nouvelle Yamaha Glenn Hughes Signature), écoutez bien la fin du titre (on oublie souvent combien Hughes est un fabuleux bassiste). « Let It Shine » vaut notamment par son refrain où l’on retrouve le Hughes amateur de soul et par un riff à nouveau dantesque. Andersen nous rappelle le jeu et le son de Bolin dans le Mark IV de Deep Purple. L’orgue est discret, ce sont les voix et les riffs qui emportent tout. « Steady » laisse une grande place à l’orgue et aux claviers de Doley. On croirait entendre Jon Lord par moments. Si l’on ajoute le violet du logo sur la pochette – il faut d’ailleurs souligner la qualité de l’artwork, sobre et plaisant –, on a bien compris la filiation de cet album. Le pont basse-batterie est magnifique, Engborg démontrant qu’il n’est pas un simple bûcheron du grand nord de l’Europe. On a même droit à un moment d’accalmie très beatlesien (au son d’un Mellotron).
Retour au Sabbath avec « God Of Money » et son clavier mystérieux. Encore un refrain qui vous rentre dedans, une basse énorme et le Hammond lordien de Doley. Moiteur tendue avec « How Long » et cette basse, Good Lord, cette basse prégnante accompagnant un orgue devenu fou ! Voilà un titre qui devrait être une tuerie sur scène, avec une fin encore superbement travaillée. On reste sous le charme du low-tempo de « When I Fall », sorte de message de Glenn assurant son désir de vivre, mais prévenant que la prochaine chute risque d’être la dernière…
C’est fou le talent de compositeur de ce monsieur. Des couplets bien fichus, des ponts subtils et des refrains qui vous marquent. Doley s’éclate aux claviers et entraîne la voix de Glenn dans son sillon : magique jusqu’au trémolo final. Un côté catchy revient avec « Landmines » et sa guitare à la Bowie du Let’s Dance (du Chic, donc), ses chœurs fabuleux et l’utilisation impressionnante du talk-box par Søren Andersen. Léger petit passage à vide avec « Stumble & Go », sans doute le titre le plus faible de l’album (mais vu l’ensemble, ça reste du très bon).
Et puis vient LE morceau : « Long Time Gone » (voir la vidéo ci-dessous). Retour de Chad Smith et passage de Hughes à la guitare acoustique. Après un début tout en douceur, ça prend de l’ampleur, on apprécie le pont funky et ce Hammond qui traîne, ces cocottes de guitares et cette putain de voix. C’est à se demander si Glenn Hughes a jamais aussi bien chanté que sur Resonate. Le refrain et les chœurs sont parfaits, même les montées de la voix ne peuvent exaspérer personne (ou alors des gens de très mauvaise foi…, il suffit que je dise ça pour me rendre compte qu’il y en a des tonnes…).
Enfin, pour ceux qui, comme moi, choisiront l’édition CD/DVD Deluxe, un titre bonus, absent du vinyle, et quel titre : « Nothing’s The Same » de Gary Moore. Le regretté Moore l’avait enregistré comme dernier morceau de son album After Hours en 1992, alors que son retour au blues était amorcé depuis 2 ans avec un Still Got The Blues explicite. Garry et Glenn avaient enregistré ensemble des titres sur l’album Run For Cover du premier en 1985 (d’ailleurs, en voyant le concert de la tournée, j’avais espéré jusqu’à la dernière minute y voir Hughes…). Si la version de Moore était illuminée par sa guitare et sa belle voix dépouillée et relativement inhabituelle, celle de Hughes est colossale. D’abord, c’est la guitare acoustique de Luis Maldonado qui la transforme de superbe manière, accompagnée par le violoncelle d’Anna Maldonado (remplaçant avantageusement les claviers un peu faiblards de la version originale). Luis Maldonado donne même un petit côté hispanisant au tout (au lieu de se confronter à la Gibson gémissante de Gary Moore). Bref, l’accompagnement est vraiment magnifique et c’est sur ce coussin pourpre à sa dimension que Glenn Hughes vient poser sa voix, portant l’hommage à Gary Moore – et sûrement à bien d’autres – dans une dimension que lui seul peut atteindre. Oh, il ne s’agit pas de faire la démonstration de son talent. Ici, Glenn chante avec son âme…
Vous l’aurez compris, cet album me rend dingue. Alors que bon nombre d’artistes à la longue carrière tournent en rond quand ils ne périclitent pas, Glenn Hughes est comme le vin de sa Californie d’adoption, il se bonifie avec le temps. Lui qui s’est égaré si longtemps et si souvent est revenu du diable vauvert et ne fait que soigner ses maux et les nôtres (« Music is the healer », se plaît-il à dire souvent) en nous insufflant son amour, celui de la musique, celui du goût retrouvé de vivre, en pleine conscience des noirceurs de la vie. Glenn Hughes est plus que vivant : « I’m ready to win / I’ll stay for a while / I’m steady again », chante-t-il ; c’est bien l’impression qu’il nous donne et l’envie de croire qu’il nous transmet sur Resonate, album majeur de 2016.
Henri Vaugrand