Freedom To Glide – Fall

Fall
Freedom To Glide
2016
Autoproduction

Freedom To Glide-Fall

«Doucement, l’ami, doucement. Piano, piano. Attention aux bords, n’égratigne pas d’oreille tout de suite. Oui, c’est ça, tout en délicatesse. On recommence  gentiment, on reprend la cadence sans cahot». C’est ce que je me suis dit. «On ne part pas en lion», comme on le dit si bien chez nous, au Québec. Pas de gros metal lourd, pas d’enclume ni de masse, juste du velours pour le pavillon des copains. Bah quoi, faut bien les apprivoiser ces petites bêtes-là, faut pas les amadouer avec de gros câlins imposés. Il faut se laisser renifler, se laisser analyser, puis lorsque la confiance est établie, on y va mollo. Ce matin, au moment où je recommence comme les copains à chroniquer à tous vents, je me dis qu’il serait de bon ton que de fouiller dans le prog tranquille. Pardi, on est tous à peu près en vacances, ce n’est pas le moment de vous bousiller les esgourdes avec mon metal acidifiant. Et puisque je connais autre chose que le metal, bah on y va comme ça, dans la lignée de Robert Reed et de Big Big Train. On abusera du crescendo musical plus tard à la rentrée officielle…

Ce matin, je suis d’humeur à vous faire découvrir du prog planant (pléonasme oblige). Il s’agit du second volet d’une trilogie musicale construite par le groupe britannique Freedom To Glide. Loin d’en être à leur premier opus, la formation anglaise connaît le tabac ! Celle-ci nous a offert Rain (un EP produit en 2012 intégré à un album complet du même titre paru en 2013), The Wait (LP, 2012), Sick To Death (LP, 2014) et quelques singles édités entre ces périodes pour compléter le concept du LP de 2014. Et puis, bah il y a Fall, le petit dernier paru en juillet dernier.

Freedom to glide-band

S’il y a bien quelque chose qui m’attire, me séduit et me gagne, c’est bien un album-concept. Et le duo composé d’Andy Nixon & de Pete Riley est passé maître dans l’art d’élaborer une structure complexe et solide autour d’un thème central : « amen to that ! ». Beaucoup d’entre nous sont en deuil. Nous pleurons la disparition progressive des albums-concepts, des rock-opéra et de ces albums-fleuves à grand déploiement. Avec Sick To Death, le premier volet de la trilogie annoncée (qu’on appellera temporairement The Inner Wars Trilogy), Nixon & Riley nous propose un voyage historique et philosophique dans l’univers sépia de la Première Guerre Mondiale. La date de sortie de l’album pour Noël 2014 n’est pas fortuite. En fait, elle est carrément volontaire. C’est que le duo voulait ainsi commémorer le centenaire de la légendaire trêve de Noël de 1914. S’il faut rafraîchir mémoires et coquelicots, ce cessez-le-feu historique survient en pleine Première Guerre à la veille de Noël. Seule accalmie entre les troupes allemandes, britanniques et françaises parmi les tranchées de Barbus autour des villes d’Ypres (Belgique) et de Frelinghien (nord de la France), ce moment représente non seulement la paix provisoire pour les soldats de ce grand conflit global, mais il souligne aussi la possible solidarité interculturelle (on se souviendra que certains soldats on traversé les lignes et qu’ils ont chanté des cantiques et bu le thé en leur compagnie, partageant un moment d’humanité au milieu de ce chaos innommable de la néo-guerre (pour reprendre les termes de ce cher Umberto Eco qui définissait la WWI comme la première « néo-guerre » où l’on ne se bat plus pour un simple objectif sur deux fronts uniques mais plutôt pour divers enjeux stratégiques convoités par des alliances aux fronts multiples). Et Freedom To Glide s’est fait un point d’honneur à souligner l’événement qui, d’abord symbolique, s’avère aussi le point central de leur musique.

C’est donc dans cet esprit qu’il faut comprendre Sick To Death et Fall. En témoigne d’ailleurs le texte de la chanson « Names In Stone », un récit où un père maçon apprend son métier à son fils après la guerre. Le patriarche, digne représentant de sa guilde, lègue son savoir à sa descendance qu’il a la chance de voir grandir. Car celui-ci a survécu à la Seconde Guerre et son fils est trop jeune pour s’enrôler (il n’a que 10 ans). On ne peut en dire autant des victimes de ce grand conflit, juifs, handicapés, minorités ethniques dont les tziganes et bien sûr les hommes tombés au combat. Et ce sont les noms de tous ces morts qu’inscrit le maçon sur les pierres tombales à l’aide de son ciseau. Et c’est aussi là que prend tout le sens du nom Freedom To Glide et de la pochette de l’album où l’on voit une larme glisser le long d’une joue : les larmes peuvent couler, nous y avons droit. La douleur, la perte et le deuil nous en légitime le droit, droit à la compassion, droit au drame, droit à la détresse… Et cette chanson va droit au cœur comme elle va droit à l’oreille; tout en douceur, en poésie.

En ma qualité d’historien, la thématique-même de l’album a de quoi me charmer. Maintenant, à savoir si l’intention de Nixon et Riley est de créer quelque chose d’original, c’est une chose. Car on sait tous très bien que Roger Waters a vu la neige bien avant eux avec The Wall (1979) et The Final Cut (1983), après avoir entendu les histoires de son propre père. De plus, on peut très bien cerné cet atmosphère floydesque dans les soli des pièces « The Toll » et « Enigma », deux portions à la sauce irrémédiablement Gilmour… Hasard ? Non, car les deux musiciens jouaient tous deux dans le groupe-hommage Dark Side Of The Wall. Mais voilà, authenticité ou pas, le rock progressif de Freedom To Glide fait du bien autant à l’oreille qu’à l’âme. On sent dans ce récit lyrique et audio toute la progression émotionnelle d’un personnage ayant vécu le tragique et le noir. En attente d’une annonce des officiers, le soldat angoisse dans l’attente (« The Middle Game »), craint la mort et le fait de ne plus pouvoir retrouver les êtres aimés laissés derrière lui (« Exit Wound »), puis se réjouit du génie des Alliés qui ont percés les communications nazis et le fameux code « Enigma » avant que notre personnage principal ne lâche prise (« Exit Wound -Let It Go »). De la fatalité progressivement acceptée, on parvient soudainement à la rédemption.

S’il est un album de rock progressif actuel autre que celui de Dave Kerzner auquel j’apposerais mon sceau d’approbation personnel, c’est probablement celui-ci. Une intéressante autoproduction, des belles harmonies vocales (rien d’exceptionnel, mais tout en efficacité et en suavité, comme dans « Enigma », ma pièce bowie-esque préférée) et des solos de guitare tout à fait délicieux (pour les fans de Gilmour, ça ne peut vous laisser de glace !).

Enfin bref, moi, j’achète…  Fall est un excellent beaume pour l’âme mélomane ou l’âme en quête de l’embellie en mer tumultueuse.

Dann ‘the djentle giant’

https://freedomtoglide.bandcamp.com/

Chronique parue simultanément chez Clair & Obscur (Paris) et Daily Rock (Québec)

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