Forteresse – Thèmes Pour La Rébellion
Forteresse
Sepulchral Productions
Et qui plus est, les airs véloces et « rentre dedans« de notre trio (et quintet lorsque réunis live), sont accompagnés de textes qui ne font pas que du remplissage. On est loin du « oh-oh-ooooh, na-na-na« de nos plus puérils chanteurs pop. Et c’est tant mieux. On est également à mille lieues des lieux communs tels que le meurtre de sang froid, la décapitation et la prédation à la sauce Cannibal Corpse. En fait, Forteresse fait dans le meilleur des deux mondes. De la musique intelligente pour des gens intelligents, de la musique défoncée pour celui qui n’écoute pas que de la musique dans les ascenseurs ou les salles d’attente avec un Châtelaine à la main (l’image d’un mec baraqué affublé d’un « corpse paint« avec une revue de mode pour matantes dans le cabinet du Docteur Alan Feinstone me fait bien rigoler).
Thèmes Pour La Rébellion, titre d’album qui sied à ravir la date volontairement symbolique de la fête nationale de notre Québec chéri, s’emploie à raviver le brasier infernal de notre beau monde libéral (lire ici le ton noir de notre désarroi général). Bien que, comme chez la plupart des formations metal usant du growl et du screech, il n’y ait que peu de place pour l’audition claire des textes, on peut toutefois s’assurer qu’un discours historique très articulé s’y cache. Il s’agit là d’hymnes à la mémoire des patriotes du Bas-Canada et de leur courage face à l’adversité britannique. C’est d’ailleurs avec moult détails historico-critiques que Forteresse nous rappelle qu’il n’y pas que les Américains qui ont tenu tête au colonisateur et à l’envahisseur anglais. Il ne faut pas non plus retenir uniquement 1776 et 1789, il convient de se souvenir de Papineau et de l’année 1837-1838. Car il ne faut pas qu’il y ait que les plaques d’immatriculation du Québec qui exprime leur besoin de se souvenir…
Du sang et du feu, de la rage et du courage. Voilà ce qui résumerait bien le sentiment et l’énergie de ce nouvel album tout en staccato et en voix sépulcrales. Ce cinquième LP, dont l’esprit partage toujours un nationalisme et une fièvre indépendantiste annoncés et fortement assumés, partage une génétique commune avec les grands noms du metal européen. Partageant un son et une structure similaire à celle de Taake, Burzum, Satyricon et Marduk, la formation québécoise culmine avec la pièce « Là où nous allons« , un titre tout à fait génial à l’orchestration herculéenne, que dis-je, miltonienne. On sent, avec ses chœurs épiques et cet épais rideau de guitares, toute la puissance de Forteresse. On comprend d’ailleurs tout le froid, toute la vigueur, toute la puissance et la stabilité de ce metal hyperboréen en écoutant ce morceau en particulier. En fait, ce morceau est ma pièce chouchou, suivi de près de « Par la bouche de mes canons« , une gifle totalement destructrice à l’endroit de l’Empire britannique. Et encore là, des chœurs tout à fait édifiants qui génèrent une envolée dramatique, un feu alimenté à grands déversements de kérosène pur.
De la force brute, de la profondeur, vous en voulez ? En v’là ! Et pas qu’un peu. Forteresse ne livre rien à petites doses. On y va sans tasse à mesurer ni pipette. On y va en renversant le baril à l’envers… Les guitares de Matrak (Chasse-Galerie, Cantique Lépreux et Mêlée des Aurores) et de Moribond (Ephemer) tranchent comme des lames affûtées (je ne serais pas surpris que les cordes de leurs instruments soient des cordes de piano de mafieux italiens récupérées post-vendetta pour faire encore plus incisif). La voix d’Athros, qui me fait immédiatement penser à celle des sombres leaders de Mayhem et de Borknagar (des piliers du genre), exprime pour sa part le fiel et la hargne que nécessite ce black metal pas si low-fi. À ce chapitre, d’ailleurs, il convient de faire remarquer que la formation a monté d’un cran côté sono. La production, sans être léchée (loin de là, car on en serait déçu !), a gagné du gallon. La batterie se détache un peu plus des cordes qu’auparavant, gardant tout de même en tête que voix, guitares et batterie doivent ne faire qu’un, avec ces aigus prédominants et ses basses mises davantage en arrière-plan (c’est d’ailleurs l’absence presque totale de basses que je reproche personnellement au black metal originel).
Quoi qu’il en soit, je rajouterais qu’avec cet album de Forteresse, il m’est possible de faire un véritable deuil de la formation Limbonic Art, un groupe de black metal wagnérien dont on n’entend plus parler depuis près de 10 ans. Car à mes oreilles, Forteresse et Limbonic partagent un registre similaire. Tout en staccato, tel que dit précédemment, les deux groupes œuvrent dans une musique intense, sentie et monolithique à souhait. C’est ça, le black wagnérien. Et ça, on aime… Et si tout cela ne vous dit rien, c’est que vous n’évoluez pas dans la sphère black metal, la vraie de vrai (et je ne parle pas de Dimmu Borgir ou de Cradle Of Filth, car ça, s’en est très loin). Si je pouvais faire un rapprochement sans me perdre en mots, je dirais simplement que Forteresse, c’est Windir avec un propos très politisé, très engagé, très historique, le tout arrosé d’une violence atmosphérique décuplée par rapport aux auteurs de Likferd (2003). Et maintenant, que les batteries se préparent, que l’on charge nos mousquets, car demain, ça se passe sur les Plaines d’Abraham et ce, sans croix blanches ni coquelicots…
Dann ‘the djentle giant’
http://www.sepulchralproductions.com (album physique)
http://noisey.vice.com/blog/forteresse-themes-pour-la-rebellion (streaming)
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Également disponibles, les albums Métal Noir Québécois (2006), Les Hivers De Notre Époque (2008), Par Hauts Bois Et Vastes Plaines (2010), Crépuscule d’Octobre (2011), ainsi que le EP Traditionnalisme (2007) et les splits Brume d’Automne (coll. avec Brume d’automne) et Légendes (coll. avec Chasse-Galerie, Monarque et Csejthe)
Chronique parue simultanément chez Clair & Obscur (Paris) et Daily Rock (Québec)