Dominique A – Toute Latitude + La Fragilité

Toute Latitude + La Fragilité
Dominique A
Cinq à 7
2018
Fred Natuzzi

Dominique A – Toute Latitude + La Fragilité

Dominique A Toute Latitude Dominique A La Fragilité

On ne présente plus Dominique A, artiste prolifique et généreux, créateur d’œuvres plus belles les unes que les autres. Après le splendide Vers Les Lueurs et la beauté d’Eléor, Dominique A a conçu Toute Latitude et La Fragilité comme un diptyque, le premier étant joué en collectif, à tendance électronique, le second en solo, à tendance acoustique. Avec Dominique A, on ne sait jamais très bien où on va aller et c’est là sa force. Il convoque des champs lexicaux qui évoquent parfois et qui laissent la place à l’interprétation, mais il raconte également souvent des histoires ancrées, dans un temps ancien ou actuel. Dans ces deux opus, il exploite un vocabulaire empli de poésie mais s’attache plus particulièrement à la place de l’homme au sein de la nature, au sein de ses propres sentiments et se regarde toujours par rapport à l’autre. En découle une mélancolie teintée de peur et de crainte. Elle est clinique, froide dans Toute Latitude, et prend corps par la musique enveloppant les textes. Et alors que l’on pourrait s’attendre à quelque chose de plus reposé, de plus contemplatif ou serein, voici que cette peur mélancolique réapparaît au détour d’ombres fugaces, contrebalancée par l’acoustique prédominante dans La Fragilité. Cependant, il y a quelque chose de frappant et par moment de glaçant à la vision de Dominique A dans ces chansons. Le suivre, c’est faire un voyage inattendu, au cœur d’émotions assez froides, tourmentées, regardées par le prisme de la voix du chanteur qui, au détour d’un mot ou d’un verbe, va vous émouvoir, vous faire frissonner, vous guider à travers l’espace et le temps, à la fois distante et proche. Un travail de perfectionniste. On sent que Dominique A a cherché le bon substantif dans ses textes mais par moment, c’est l’atmosphère qui va prédominer et tant pis si le texte devient plus terre à terre. Il n’empêche, l’ensemble est impressionnant, d’autant plus que Toute Latitude et La Fragilité s’accompagnent chacun d’un mini album de 8 titres, ce qui nous donne un total de 40 morceaux sur 4 disques. Le changement, c’est également un retour à des sonorités électroniques. Dominique A explique sur son site : « Il y a bien entendu une part de hasard qui intervient dans la conception d’un disque, indépendamment des intentions initiales. Pour Toute latitude, c’est l’achat imprévu d’une boite à rythme analogique, au son spécifique, qui a été déterminant : l’écriture des morceaux s’est articulée autour de rythmes élaborés sur cet instrument, dont le son colore finalement tout l’album. »

Dominique A Toute Latitude band 1

« Cycle », qui ouvre Toute Latitude, résume finalement bien tous les autres morceaux. Chaque chanson raconte un cycle, cycle qui peut être différent suivant les décisions prises, les émotions dites ou feintes, les époques de guerre ou de paix. Chaque vision est dépendante de l’environnement et des personnages qui les peuplent. « Désert D’Hiver » parle de ces villages bondés l’été et désertés l’hiver mais finalement évoque l’isolement et la solitude de chacun. Le morceau préfigure « Le Grand Silence Des Campagnes » sur La Fragilité, où les hommes vivant dans les campagnes deviennent comme les hommes vivant dans les villes, repliés sur eux-mêmes. « Toute Latitude », petit chef-d’œuvre au rythme lancinant, nous renvoie à l’adolescence et à son temps de liberté. Une beauté nostalgique portée par des arrangements aériens évocateurs, et qui sert de transition avant d’installer une atmosphère plus pesante et menaçante avec « Les Deux Côtés D’Une Ombre » où là, l’urgence du rythme et la diction de Dominique A amènent une inquiétude ambiguë. « La Mort D’Un Oiseau » est un titre assez inconfortable, à l’antipode du fameux « Le Courage Des Oiseaux » de La Fossette. On y affronte la mort, thème qui reviendra plus poétiquement dans « La Route Vers Toujours » sur La Fragilité. Le rapide « Aujourd’hui N’Existe Plus » nous fait le constat que chaque jour ressemble à un autre, sans relief, thème contrebalancé par l’excellent « Le Temps Qui Passe Sans Moi » sur La Fragilité où un homme réagit face à la beauté des choses et décide d’enfin les contempler. La narration de « La Clairière » est un modèle de minimalisme. Tout est décrit dans une vignette prise hors du temps et qui distille une émotion froide. Un exode, une séparation, une mort, une reconstruction.

« Enfants De La Plage » apparaît comme une transition ensoleillée au cœur de ce disque à la violence sourde. Mais les interrogations qui y figurent ne sont peut-être pas si optimistes que cela… Le désespoir de « Lorsque Nous Vivions Ensemble » est marquant, dépeignant la solitude au sein d’un couple. Puis arrive ce chef d’œuvre de violence tapie dans des émotions mêlées de peur et de désir, « Corps De Ferme A L’Abandon » et ses images terribles, comme un petit film d’horreur qui, grâce à votre imagination, est encore plus effrayant que ce qu’il montre. Le morceau se suit de la même manière, accroché aux mots et à la diction travaillée de Dominique A, et fait froid dans le dos. « Se Décentrer » raconte comment l’homme a tout intérêt à arrêter de se regarder le nombril et à se replacer par rapport à la nature, sinon il court à sa perte. Beau travail sur les guitares et les textures sonores. Enfin, « Le Reflet » compare l’homme à un ectoplasme vivant sans détermination dans son monde. Toute Latitude se révèle donc très sombre, et offre peu de réconfort. Il n’y a jamais d’espoirs dessinés ou d’échappatoires possible. Un album qui secoue, et qui, malgré sa dureté, n’en demeure pas moins attachant, pour le féru d’atmosphères travaillées et de textes riches d’images et de sens.

Dominique A Toute Latitude band 2

La Fragilité sera donc un reflet de Toute Latitude, mais partant d’histoires qui sont plus particulières à un personnage, plus intimes. Les sons plus organiques des morceaux n’ont pas le but d’adoucir le propos même si le disque est nettement moins violent, mais ils permettent une plus grande projection dans les textes. Guitare en apesanteur, délicatesse des arrangements, « La Poésie » est un hommage à Leonard Cohen. La poésie de nos vies, celle qui inscrit les mots les plus heureux, nous quitte et laisse son empreinte, pour un petit moment. Un moment de grâce, suspendu, merveilleux. Mais c’est aussi la fin de quelque chose… L’élégance caractérise les arrangements de La Fragilité, et « Comme L’Encre » en est un beau témoignage. L’acoustique de « Comme Au Jour Premier » peut rappeler les premiers essais d’Arman Méliès. Délicatesse et minimalisme dans une nostalgie d’un temps qui passe trop vite. « J’Avais Oublié Que Tu M’Aimais Autant » est une pépite, et le texte, malgré une musique aérienne, met presque mal à l’aise. Car d’une chose positive, l’amour, naît la négation de celui-ci : l’oubli. C’est tout le sel des textes de Dominique A, il y a toujours quelque chose de caché, mais qui est révélé sans fard.

« La Splendeur », c’est la vie. Mais racontée par une personne dont celle-ci est réduite, cela devient un poil inconfortable, alors que « Le Temps Qui Passe Sans Moi » prend le contre-pied (voir plus haut). Une histoire de lien par la peur, c’est le thème de « Le Ruban », chanson narrative prenante et cinématographique. « Le Soleil », habituellement source de vie, est ici cause de désespoir et replace l’Homme par rapport à la Nature. On pense aussi à une lointaine cousine, « Le Commerce De L’Eau » sur Auguri. « Beau Rivage » décrit un lieu où l’on s’échoue, après une vie d’errance et d’idéaux. Suivie par « La Route Vers Toujours » on peut deviner que « Beau Rivage » est la dernière escale avant la fin. En somme, ce qui caractérise l’homme, c’est sa fragilité. « La Fragilité » clôture cet ensemble de chansons et montre que nous sommes condamnés à la dissimuler, cette fragilité. Une narration hypnotisante avec une guitare électrique aérienne en paysage qui nous invite à s’envoler, nous demande de s’abandonner et de rêver avec elle.

Dominique A Toute Latitude band 3

Toute Latitude et La Fragilité sont des beautés lucides, une vision de la société, une invitation à réfléchir. Dominique A livre là sans conteste deux de ses meilleurs albums. Quant aux cds bonus, ils sont excellents. Celui de Toute Latitude, Ursa Minor, comporte des narrations entièrement parlées avec quelques chansons. Quant à celui de La Fragilité, Une Voix File A Travers Ciel, il est tout bonnement indispensable avec des chansons qui peuvent être au moins aussi fortes que sur l’album comme par exemple « Les Couloirs », « Et Alors J’Ai Levé Les Yeux », ou encore « Les Rives Ordinaires ». Un artiste avec un A majuscule, un ensemble impressionnant de maîtrise qui ne cherche pas à aller dans le sens de l’auditeur. Deux opus à l’indépendance insaisissable, comme nos vies finalement.

 

https://www.dominiquea.com/

 

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