Decipher – Intuition
Auto-production
2016
Decipher est une jeune formation de metal progressif originaire du Luxembourg. Quatre ans d’expérimentations, de pratique, de travail et de composition nous mènent finalement à la parution d’Intuition, le premier album du groupe. Un premier opus, mais quel opus ! Certains groupes œuvrant depuis longtemps sur la scène djent et prog metal en général n’ont même pas l’étoffe de cette formation luxembourgeoise pourtant fort récente !
Ce monument m’a tellement étonné que j’ai dévoré l’album d’un trait comme un plat délicieux dont on commanderait un second service aussitôt après avoir englouti le premier plateau. Aux accents djent par l’usage d’une basse ponctuée par des ostinatos récurrents et des rythmes très saccadés, la musique de Decipher rappelle dans ses moments plus aériens, plus atmosphériques, plus cosmiques, cette teinte TesseracT dont on ne peut reprocher le plagiat, mais dont on peut tout de même se permettre de faire le rapprochement. La pièce d’ouverture, « The Alchemist », introduit à un voyage astral aux confins du mental comme au plus lointain du cosmos. Et c’est là la beauté de l’impression ! Claviers éthérés, guitares embrumées, superposition maîtrisée des diverses couches sonores qui créent cette dimension profonde et quasi-infinie, tout est réuni pour favoriser le sentiment d’un ailleurs qui nous échappe, mais dont on soupçonne l’existence.
À d’autres endroits, notamment dans « Liquid Pain » et « Morbid Dreams », on quitte l’univers du djent atmosphérique pour le death progressif dont les frontières s’abolissent et s’affranchissent tout doucement. Passages growls très gutturaux doublés de quelques screeches black metal par moments en arrière-plan, ces pièces démontrent la puissance du groupe et leur technicité indéniable. Arpèges par-ci, palm-mute très lourds et très carrés par-là, ce metal progressif en est un des plus complets. Si l’on pouvait rapidement trouver référence dans la « terra cognita » musicale, on pourrait citer certaines formations telles que Veil Of Maya, Architects, Monuments et Born Of Osiris (bien que Decipher soit plus subtil, plus variable, plus nuancé et plus technique que ce dernier), tout en rappelant d’autres formations émergentes telles que Pathways et Cast Skyward. Mais le death progressif empreint de l’esprit djent de Decipher se rapproche très certainement de celui de Delusions Of Grandeur, Ordinance, Kardashev, Reactive Delusion dont j’apprécie tout particulièrement la sonorité et l’énergie. En cela, la formation fait partie d’un club très sélect dont les membres sont de gros calibres.
Le clou de l’album, le point culminant, est probablement la pièce « Soulbound ». Avec ces voix féminines, le morceau confirme la dimension mystique, voire cosmique de cette musique. Abandonnant pour un moment le death pour un metal progressif simplement planant, la chanson nous transporte vers des horizons insoupçonnés. Il me semble bien que le morceau en tant que tel aurait pu faire partie de la trame sonore pour le générique d’Interstellaire, rien de moins !
Et que dire de la continuité de « Soulbound » avec « Mind Unfold » qui lui succède… Les deux pièces auraient très bien pu faire partie de l’album A Dream In Static de Earthside, opus dont vous connaissez l’appréciation de la critique; critique délectée dont je fais partie. Il y a dans cette pièce instrumentale des enchevêtrements, des arabesques, que dis-je, des volutes de guitares volages et fugitives dont l’arrangement fait penser à un post-rock qui, vers la fin, vous fait traverser subitement sur un pont à la structure métallique très solide.
C’est sur une note résolument death prog que nous laisse Decipher. D’un air très déterminé, les pièces « L’or Bleu » et « Slave Of The Chapter » (un titre qui me fait penser au groupe The Mothman Prophecies, surtout par les lignes de basse) entretiennent le motif central de l’album; un motif lourd et techniquement impressionnant qui semble davantage forer et broyer les comètes sur son passage que de s’y poser pour contempler le monde vu de l’immensité astrale. C’est à ce moment qu’il faut se rappeler qu’il s’agit de death progressif et que la rudesse ne doit pas totalement s’effacer.
Il s’agit là d’un album coup de cœur qui réunit les aspects les plus déterminants d’un opus réussi et méritant : du génie, de la nuance, de la versatilité, du dynamisme, de l’intensité et de la puissance. Je recommande fortement l’opus. Et si je peux me permettre d’ajouter, je regrette d’avoir été mis au courant de l’existence de ce disque après la publication des tops/flops 2016 ou de ma revue de metal extrême publiée la semaine dernière, car Intuition aurait sans conteste fait partie de mon top 10 !
Dann ‘the djentle giant’
https://decipherband.bandcamp.com/releases
p.s. : voici deux extraits fort différents qui vous permettront de découvrir les deux facettes a priori antithétiques de cet album à la fois délicat et puissant paru le 16 décembre dernier :
Tout simplement sublime. …
Heureux que cela vous plaise. Pour ma part, je suis tombé à la renverse lorsque j’ai découvert ce petit bijou.