Controverse – De l’Argile À La Vie
Autoproduction
2016
Controverse – De l’Argile À La Vie
Controverse est un groupe français de rock progressif que j’avais pu découvrir en inter-scène extérieure au festival Prog en Beauce de 2015. Si les conditions d’expression du groupe étaient un peu limitées ce jour-là, du fait d’un certain manque d’intérêt de la part de festivaliers plus enclins à discuter entre eux, se restaurer et s’abreuver entre les performances des groupes de la scène principale, le combo avait montré pas mal de valeurs : des compositions intéressantes et bien arrangées, et puis la présence d’une chanteuse/violoniste aux qualités indéniables. Il n’en fallait pas moins pour s’intéresser à leur premier opus, De l’Argile À La Vie, sorti en juin 2016.
Enfin si, il en fallait un peu plus… La promotion des artistes et groupes français œuvrant dans le rock progressif est un crédo qu’il s’agit de distiller à l’heure où la surproduction de musique laisse un peu ce genre de côté, encore plus singulièrement quand il s’agit de prog chanté dans la langue de Molière ou d’un certain Christian Décamps. Il s’agit ici de vanter les qualités de musiciens qui croient en quelque chose, l’expriment au travers d’une musique et de textes invitant au plaisir, mais aussi à la réflexion et au rêve. Oh, il n’est pas pour autant question de masquer les défauts mais ceux-ci ne sont-ils pas quelque peu excusables lorsqu’il s’agit d’un premier disque ? Et des défauts, De l’Argile À La Vie en a quand même quelques-uns : une conception du livret un peu ratée, malgré de belles illustrations, mais des textes rendus illisibles par un jeu de polices tremblant qui nuit à la lecture (ce défaut apparaît malheureusement trop souvent chez les graphistes contemporains qui oublient la petitesse des pochettes de CD et la différence de rendu entre l’écran et le papier) ; une production hélas pas à la hauteur du contenu, avec des déséquilibres de mixage, des cymbales notamment qui sonnent mal, et un son un peu trop années 80 à mon goût personnel. Nonobstant, il convient de noter la bonne qualité du mastering qui permet de ne pas écraser toutes les finesses et les bonnes choses de cet album, et c’est à celles-ci que nous allons nous intéresser désormais.
De l’Argile À La Vie est un concept-album, ce qui devient rare chez les progueux hexagonaux (parmi les derniers en date, on notera Épitaphe de Gens De La Lune, et Josquin Messonnier de Motis). Articulé autour de six titres tous composés et écrits par le truculent Messire Mortou (alias Didier Leveau), l’album propose un peu plus de 65 minutes d’un voyage qui prend racine dans la mythologie grecque. D’un combat amorcé face aux maîtres de l’Olympe, l’histoire nous fait croiser elfes, farfadets, lutins, nymphes et autres peuples, le tout présentant des réflexions sur le sens de nos existences, le combat intemporel entre nos créations divines, nos existences misérables mais rêveuses, et notre immobilisme final au-delà de nos avancées (ce « je change mais ne change rien » qui conclut l’album). On suit donc avec intérêt le cheminement des aventures et épisodes qui émaillent l’album, le tout ponctué d’instrumentaux et de longs développements mélodiques. Fort d’une connaissance aboutie de son petit Camel illustré (ce qui n’est pas si répandu dans le progressif français), le sieur Mortou aime installer des ambiances et proposer des passages mélodiques de toute beauté, alternant soli de guitares et passages doublés guitare-claviers ou guitare-violon, appuyés par le son rond de la basse (parfois fretless) de Lolin Odouard et aussi son art de la 12-cordes.
L’album s’ouvre sur un instrumental, « Controverse », sorte de carte ADN du combo, qui aurait aussi bien pu figurer sur l’album Sarabandes de Minimum Vital. On voit déjà se dessiner l’importance des harmonies de guitares mélangées soit avec les claviers soit avec le violon. D’autant que l’impression se confirme avec « La Genèse » (mal orthographiée dans le livret), instrumental qui ouvre la première longue pièce, « Le Voyage De Prométhée » et ses belles parties de violon doublées auxquelles il faut ajouter une ligne proche du « Lavender » de Marillion ! La longue introduction (plus de 4 mns) laisse place à la belle voix de Marie Laurent. Et c’est l’une des bonnes surprises de cet album : une voix sans artifices, sans recherche d’exploit lyrique (comme trop souvent chez les chanteuses de prog ou de metal prog), mais avec tout ce qu’il faut d’intention et d’adhésion au texte et à la musique pour rendre le titre plus qu’agréable. Les parties instrumentales enchaînent, avec de belles idées et un beau chorus du violon de Marie et des claviers de Christophe Parra. La batterie soutient bien les ambiances, mais la production ne rend pas grâce à la qualité du travail de Théodoric Brenan. Didier Leveau propose également de belles envolées vers la conclusion de ce premier titre épique, « Immortel », et le retour du chant de Marie Laurent. Comme les maîtres de Camel, Controverse présente bon nombre de passages instrumentaux, et c’est avec un instru de près de 10 mns, « L’Île Aux Mille Rivages », que se poursuit l’album. Et c’est bien au combo d’Andrew Latimer que ce titre rend hommage. Un joli mid-tempo sur fond de guitare acoustique, où violon et guitare se taillent la part du lion (l’intervention à l’approche de la quatrième minute de Messire Mortou nous amène même vers les rives du Sylvain Gouvernaire d’Arrakeen à son meilleur). Le riff tournant des claviers dans la seconde partie est doucement obsédant, nous emportant vers le deuxième épique, « Les Nymphes De Lymbiah-Exterra », et son intro proche d’un Atoll mêlé du Ange de « La chasse ». Avec l’entrée de la voix de Marie, on a droit à des excès de violon légèrement distordu qui ponctuent parfaitement l’envolée du début du titre (14:23 quand même !). La seconde partie, à base de piano, laisse place à la voix de Marie, décidément très agréable à entendre… Nouvelle et courte partie instrumentale avec « Les Cycles Éternels », avant les deux parties, véritables envolées, « Conscience » et « Les Nymphes De Lymbiah-Exterra » qui font à mon sens de ce titre le meilleur de l’album, et ce d’autant que le suivant, « La Vallée De Kléhagmas », avec ses 19:55, me paraît un tantinet trop long, malgré nombre de passages très réussis, oscillant entre du Genesis et du Ange (l’instrumental d’introduction), de belles parties chantées (« Les Elfes Dansent »), le côté médiéval de « Le Pacte d’Alliance » et la beauté du final entre chant et guitare. Néanmoins, l’album se conclut magnifiquement avec « L’Éveil », morceau court au regard de l’album (4:12), mais véritable hymne porté par des guitares scintillantes et la voix de Marie Laurent (on aurait quand même aimé que le texte soit au féminin tellement Marie se l’accapare !).
On sort de l’écoute de ce De l’Argile À La Vie avec des sentiments contrastés. D’abord, c’est une parfaite réussite au niveau des intentions et des constructions. Les alternances chères aux prog-addicts sont bien présentes et maîtrisées, ça foisonne d’idées, de contrastes, et l’album révèle une belle unité, avec des fulgurances dont on extraira la guitare de Didier Leveau, de même que le violon et surtout le chant de Marie Laurent. Mais là où Controverse réussit son pari, c’est de prouver au terme des 65 minutes de l’album, la naissance d’un groupe soudé dont on attendra avec délectation de le voir jouer ce concept-album sur des scènes suffisamment grandes, et aussi de réaliser un autre album qui le fasse entrer de plain-pied dans le théâtre limité des groupes incontournables du rock progressif à la française. Là où les défauts de la réalisation auraient valu des remarques peu amènes s’il s’était agi d’une plus grosse production, les qualités et la fraîcheur de ce premier album laissent entrevoir un avenir qui fera battre le coup de cœur qu’il a su m’inspirer ! « Qu’importe d’où le vent vienne, c’est l’éveil d’un nouveau destin ». À tout le moins…
Henri Vaugrand