Aethenor – Hazel
VHF Records
2016
Celle-là est compliquée. Ça va l’être à tout le moins. J’avais déjà ébauché des textes, des fragments vaguement et forcément insipides (n’est pas Schlegel qui veut), sur le précédent opus En Form For Blå. Ce super combo m’a toujours fasciné. Déjà par son corpus. Ce n’est pas tous les jours qu’on a Stephen O’Malley (Sunn O))), Khanate, KTL et assimilés), Kristoffer Rigg (Ulver), Daniel O’Sullivan (Ulver aussi) et le batteur free-jazz Steve Noble au sein d’un même projet. En plus, Æthenor (prononcez Ee-then-or) est un sacré brouillage de piste, un labyrinthe biscornu où se mélangent tendance ambient grinçante et improvisation free, que n’auraient pas renié un Derek Bailey ou Han Bennick sur du drone. Le genre d’objet qui demande autant l’abandon total de l’auditeur durant lecture que l’obligation d’une concentration d’écoute accrue, voire « intellectuelle ». C’est que ça fourmille de détails là-dedans.
Micro-rythme, nappes de sons soufflées, chuintantes, fantasmées, abyssales, éthérées etc… Création d’une rythmique, voir d’un groove dans un brouillard qui trouve un semblant de forme, de renfoncements au gré des minutes. Et avec ça, de nouvelles cachettes et autant de possibilités de se perdre comme le spectateur se perdra dans la contemplation d’un tableau abstrait ou d’un film de la Nouvelle Vague. Hazel, malgré tout, est prenant, ses sonorités n’agressent jamais l’oreille. Non, cinq secondes… je m’égare. Je fais trop dans l’explicatif… Dans Hazel, je vois des câbles, des chaises, la nuit, une ambiance. Je vois des lumières au fond d’une cave, de la condensation, des photos floues et des personnages déambulant d’instruments en instruments tels les membres de Pink Floyd. Des jeux de regards qui ne se croisent jamais, des suites de notes qui s’imbriquent et de là, une masse qui se dessine. Une guitare, des synthés analogiques, des tables de mixages, une batterie, des cymbales qui progressivement se changent en marteau, burin, ciseaux, faucille pour mieux taillader, poncer, lisser, déchirer les sons qui s’évacuent. Je vois des alchimistes qui essayent, cherchent, trouvent ou s’emballent et par là retrouvent une sorte d’état d’esprit d’expression libre, ayant pour seule contrainte de ne pas dépasser les limites de ses participants.
Hazel reste vague, Æthenor reste vague. On ne se souvient pas d’un disque ou d’un « morceau », on se souvient de l’ébauche d’un monde, d’un espace éphémère aux émotions fractales, d’une tentative de percer une couche de réalité dans l’obscurité d’un soir de semaine. Ce sont des fragments, ceux chers à Schlegel. Quelques mots sur une ligne ou un paragraphe d’une centaine de mots, libre à chacun d’y mettre son ordre ou son émotion. C’est une déambulation, une comme je les aime, avec ces néons qui sautent à la gueule et dont on fixe les reflets sur l’eau. Ce sont ces instants où on stoppe sa marche pour, sans raison consciente, on observe, on hume l’air, on respire. Et puis repartir d’un pas plus ralenti, d’un regard plus acerbe, d’un état d’esprit plus distant mais toujours là, « sur-présent » même et chacun des détails auditifs deviennent les détails qui m’entourent. Ceux dans mon salon, ceux à l’extérieur durant l’envie d’une clope. Et tout ça ? Pour je ne sais quoi. Je ne sais pas… Et c’est là la force. Passer de l’autre côté d’un miroir et embrasser cette étrangeté alliée à la mélancolie d’un métrage de François Truffaut, tirant la langue au milieu d’un livre imprimé par Roland Topor; une image nocturne.
Jéré Mignon